Chaque année, entre la fin août et le mois d’octobre, les vignobles de France entrent en effervescence : c’est le temps des vendanges. Mais comment décide-t-on du jour J ? Pourquoi une région commence-t-elle plus tôt qu’une autre ? Et surtout, quels sont les effets de cette décision sur le vin que l’on retrouvera quelques mois plus tard dans notre verre ? Entre traditions, analyses scientifiques et enjeux gustatifs, la date des vendanges est un choix crucial qui reflète toute la complexité du métier de vigneron.
Une histoire de maturité… mais pas seulement
Depuis l’Antiquité, on récolte le raisin à maturité. C’est le point de départ. Les Grecs, puis les Romains, observaient l’évolution des baies, les goûtaient, et attendaient le bon moment, selon l’expérience et l’intuition. À cette époque, il n’y avait ni laboratoire ni outils d’analyse : la dégustation du raisin restait l’unique critère. On jugeait à la douceur, à l’acidité ressentie, à la souplesse des peaux, à la couleur du jus.
Aujourd’hui, les principes restent les mêmes, mais la précision a évolué. La maturité du raisin est décomposée en plusieurs formes : la maturité technologique, la maturité phénolique et la maturité aromatique. Ce sont ces indicateurs que le vigneron va suivre de près, parfois sur plusieurs semaines, pour déterminer le bon moment de vendanger.
Trois types de maturité à surveiller
-
La maturité technologique correspond à l’équilibre entre le sucre et l’acidité. Plus le raisin est mûr, plus le taux de sucre augmente (ce qui influencera le degré d’alcool après fermentation). En parallèle, l’acidité diminue. Trop de sucre = vin lourd ; trop d’acidité = vin acide et peu plaisant. Il faut donc trouver le juste équilibre selon le style recherché.
-
La maturité phénolique concerne les tanins et les anthocyanes (pigments de la peau du raisin noir). Ces éléments sont essentiels pour les vins rouges : des tanins pas mûrs donneront de l’astringence désagréable ; des pigments insuffisamment développés, une couleur terne.
-
La maturité aromatique, plus subtile, vise à capter les arômes optimaux du raisin. Certains cépages, comme le sauvignon ou le muscat, développent des profils aromatiques très précis en fin de maturité. Attendre quelques jours de plus peut révéler des notes florales ou fruitées spécifiques.
Goûter, analyser, comparer
La dégustation des baies reste une étape fondamentale. Les vignerons parcourent les rangs, goûtent les raisins, évaluent la peau, les pépins, la pulpe. Mais cela ne suffit plus : on complète cette approche empirique avec des analyses en laboratoire. Des prélèvements sont réalisés sur plusieurs parcelles : on mesure la densité (taux de sucre), le pH, l’acidité totale, et parfois même des marqueurs d’arômes ou de tanins.
C’est la synthèse de tous ces éléments – sensations gustatives, résultats d’analyses, météo prévue – qui permet de fixer une date optimale de vendanges. Ce choix est stratégique, car une fois la récolte faite, il n’y a pas de retour en arrière possible.
Et si on attend trop longtemps ?
Laisser mûrir un raisin trop longtemps, c’est risquer :
-
Un taux de sucre trop élevé, donc un vin très alcoolisé, parfois déséquilibré.
-
Une acidité trop faible, ce qui réduit la fraîcheur et la capacité de garde du vin.
-
Un développement d’arômes lourds, voire cuits, au lieu de notes vives et fruitées.
-
Une attaque de pourriture grise, surtout en cas de pluie ou d’humidité.
Dans certains cas, ce « surmûrissement » est recherché, comme pour les vins liquoreux (Sauternes, vendanges tardives), où le botrytis cinerea (la fameuse « pourriture noble ») concentre les sucres et les arômes. Mais pour un vin sec ou un rouge léger, attendre trop peut être une erreur fatale.
Une date… mais plusieurs jours
Il est rare que l’on récolte toute une propriété en une journée. Les vendanges durent souvent plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Un vigneron peut décider de commencer par une parcelle plus précoce, ou de récolter un cépage avant un autre. Chaque parcelle est suivie séparément, avec des analyses propres. On parle alors de vendanges par tries (passages successifs), notamment pour les vins blancs ou moelleux.
L’importance du millésime
La date des vendanges varie selon les années, en fonction des conditions climatiques. Un été chaud et sec avancera la maturité. Un printemps frais ou un automne humide peut la retarder. C’est pour cela que chaque millésime est unique : il traduit le climat d’une année, mais aussi les choix faits à la vigne.
Un vigneron qui vendange un peu plus tôt visera souvent plus de fraîcheur et de tension ; un autre qui attendra quelques jours de plus obtiendra plus de rondeur et de puissance. Cette marge de manœuvre permet aussi de dessiner le style du vin.
Une décision lourde de sens
Choisir la date des vendanges, c’est donc faire un pari. Un pari sur la météo (la pluie peut ruiner une vendange prévue trop tard), un pari sur le goût (chaque jour modifie l’équilibre du raisin), un pari sur l’identité du vin que l’on veut créer. C’est l’un des moments les plus stressants de l’année pour un vigneron, mais aussi l’un des plus enthousiasmants. Car c’est là que tout commence.